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Lorsque que je marche en lisière, je quitte le seuil du temps et entre dans une sorte d’épiphanie heureuse où se côtoient oiseaux, grands chênes, labours fraiches, haies vives, cordiales cenelles dans les taillis d’aubépines et, juste là, entre les grandes herbes, tout un bestiaire d’ombres furtives…mulot ? orvet ? ou troglodyte ?

Les forêts et les clairières, les rivages et les alpages sont des sanctuaires.
Le ciel est dépositaire de nos vœux et de nos prières. ll n’y a pas de séparation entre le terre et le ciel.

Je n’ai jamais cru aux frontières et, contempler le céleste depuis le terrestre m’a permis de célébrer le dialogue vivant qui est incessant, poreux, ouvert, infini : en mon corps les oreilles du lièvre, en mon dos l’aile du geai, sur mes lèvres les fruits des ronces forment le dessin d’une rivière.

Je regarde, je contemple le petit paysage ; déjà la terre a changé et accueille les jours plus courts du prochain équinoxe ; sur les pieds nus, une rosée plus dense.

Au chant du rossignol, je me couche sur l’humus résilient et je regarde la voute du ciel. Comment avons-nous pu arriver à nous sentir séparés et supérieurs au chœur du vivant ? Comment avons-nous pu blesser si violement le cœur symphonique de la terre ? Comment continuer de vivre de manière discrète et non-heurtante pour la Vie ?

Entre les ailes passantes et les pollens vagabonds se mêlent les silences et les vides. Souvent les paysages que je traverse deviennent des espaces rêvés et dessinés intérieurement. J’ai passé beaucoup de temps avec mes crayons. Le vide porteur est alors devenu un allié et aujourd’hui le dessin peut se faire sans support comme un territoire sans frontières ni confins.
Le territoire créé n’appartient plus à la géographie ordinaire, il est impossible à localiser sauf en le cherchant tout au fond de soi, là où palpite le Grand Songe; l’indescriptible intime de nos liens vivants en nos terres intérieures.

Observer les oiseaux, écouter leur chant a été depuis mon enfance une façon de me relier au monde et d’être présente à mon quotidien. Dès l’âge de 10 ans, j’ai mené des affûts réguliers et enregistrer des chants d’oiseaux avec un sonorisateur-poète du nom de Jean-Rémy et avec Robert Hainard.

Les oiseaux m’ont relié au grand chant du monde, comme une invitation constamment renouvelée à participer à la Conférence des Oiseaux….
En mars, j’attends les milans, en mai les martinets, dans la nuit la chouette ourle les constellations et le rouge-gorge célèbre l’aube d’hiver.
Ainsi les oiseaux peuplent et tissent les saisons : ce tissage est essentiel à mon équilibre.
Ils rassurent, structurent les jours, apportent mes prières ailleurs.
Dès l’âge de 12 ans, j’ai porté une amitié à Saint-François et son cantique, découvert par l’intermédiaire d’une pièce théâtre de Joseph Delteil, et cet été encore, j’ai suivi une retraite avec Père Martin autour du Cantique de Frère Soleil.
Je demande : « Que pouvait bien raconter Saint François aux oiseaux ? »
Et Marine poursuit: « Que pouvaient bien raconter les oiseaux à Saint François ? »

Il y a ainsi ce dialogue interrompu dans le Grand Dehors.
Pourrons-nous l’entendre avec délicatesse, le tisser avec précautions ? Et œuvrer nos vies avec déférence ?

Comment quitter nos piétinements pour mieux entrer dans les essors poétiques des étoiles, des nuages et des orages en suivant la Voie des Ailés.

Au cours des dernières semaines, j’ai trouvé une cinquantaine de plumes en lisière. Chacune est une offrande. J’ai cherché un moyen d’honorer chaque plume et je les aie placées sur des structures creuses de plantes séchées.
Ces talismans des champs, comme des haikus-matières viennent rappeler nos envols et nos Icares, nos contemplations et nos Hermès intérieurs.

Passeurs nous sommes et, les oiseaux, pèlerins des airs, nous amènent à ouvrir nos libertés.


Oiseaux, merveilleux oiseaux, merci pour les traversées de nos chutes et nos ascensions, de nos rêves et nos envols…

Puissions-nous devenir, oiseleurs des songes et tisser la grande aile du désir de vivre.


Sur la terre des oiseaux, au jour de l’éclipse lunaire, 7 septembre 2025, avec le corps de la Terre et la murmuration des étourneaux, pour Marine et Raphaël

Crédits photos : Alois Rigotti